L’idée contre l’univers / guide de survie

Tranche de vie Julivilloise.

Je regardais mon mur Facebook. Il y avait un tas de publications à propos du lancement d’un gros machin sur Montréal. On y parlait plus du logo de la chose que du machin. Avec beaucoup de fierté. C’est bien ok tout ça, sauf que le logo en question, il se frottait l’entrejambe.

Je regardais nonchalamment les Olympiques à la télévision. C’est là, pendant la pause publicitaire, que l’idée de cette chronique est apparue dans ma caboche. Entre TOUTES les pubs olympiques poches, il y en a eu une qui se prenait pour une pub d’une autre catégorie.

Vous voulez savoir de quoi je parle? C’est pas si important. C’est juste que je me devais d’inscrire cette chronique dans l’actualité. C’est fait.

L’idée et son exécution, même combat.

C’est Jane Hope et Paul Lavoie, cofondateurs de l’agence Taxi, qui m’ont appris qu’une bonne idée mal exécutée ne vaut que dalle. Et qu’une mauvaise idée bien exécutée ne vaut, tout aussi que dalle. C’est bon à savoir. Ça aide à gérer son temps et ses efforts.

Attachez vos tuques avec de la broche.

Pour les besoins de cette chronique, assumons que vous avez, oui, une maudite bonne idée, stratégique et créative à la fois. Peu importe votre domaine. L’idée parfaite. C’est là, à ce moment précis que tout commence à se jouer, que tout se corse.

L’idée contre l’univers.

Ce n’est pas moi qui ai inventé tout ça. Ça va comme suit: votre idée fantastique, dès le moment qu’elle naît, ben, toutes les forces de l’univers en présence, et même celle absente au moment précis de sa genèse, vont contribuer à la faire échouer ou, au pire, à la diminuer. C’est un fait. Ça fait 30 ans que j’en suis témoin de près ou de loin sur le terrain.

Le guide de survie

Pour contrecarrer l’univers et ne pas faire un projet franchement moyen avec votre bonne idée, voici en rafale quelques menaces potentielles et quelques conseils gratuits:

1) Le temps. Vous n’avez pas assez de temps pour bien faire les choses. Oubliez ça, ça ne marchera pas. Simplifiez votre idée si possible (c’est souvent un gage de meilleure qualité). Mieux, demandez une extension (pas toujours possible). Sinon, recommencer l’idéation.

2) L’argent. Vous n’avez pas assez d’argent pour bien la faire. Votre idée est probablement est trop ambitieuse. N’essayez pas de la faire cheap. Ça ne marchera pas. Simplifiez. Demandez plus. Sortez vos gants blancs et votre charme. Sinon, j’espère que vous avez de bons amis…

3) Vous. Vous n’avez pas le talent pour tout faire. Déjà, avoir la bonne idée, c’était un exploit. Si vous croyez que quelqu’un d’autre peut prendre le relais mieux que vous, allez-y, votre projet sera entre bonnes mains. L’humilité et la générosité, ici, sera gage de qualité. Et n’oubliez surtout pas de transférer votre passion.

4) Le « client » de votre idée. Il manque de vision. C’est possible. Oubliez ça. Rien n’y fera. Mais il y a une autre possibilité: vous n’avez pas bien vendu votre idée. L’instinct et la passion ne suffisent pas. Soyez stratégique. Un bon client est prêt à vous suivre en enfer. Mais il faut le convaincre.

5) Votre entreprise. Le red tape vous connaissez? C’est le truc qui fait que votre entreprise est un paquebot immobilisé en haute mer. C’est pas le fun. Et ennuyant. La passion n’y est plus. On y déprime allègrement. Des fois, c’est un collègue décisionnel qui n’a pas d’audace. Pour tout ça, moi, le matin, je me préparais mentalement à partir à la guerre pour mon idée. Je vous souhaite d’y survivre.

6) Le maillon faible. Ça, c’est hyper simple. La qualité de votre projet sera égale au plus bas niveau de talent dans votre équipe et chez vos collaborateurs. La solution? Pas de maillon faible. Que des gens kick-ass.

7) La collaboration. Ah, c’est beau, la collaboration. C’est à la mode. Sauf que ça peut finir par faire une exécution floue, mièvre. Pas de leader, pas de champion de l’idée peut faire déraper la chose. Au profit de la belle grande idée du Collectif. Si c’est votre truc, ben, je ne peux pas vous en empêcher. Le collectif, c’est bien. J’aime ça. Sauf que la collégialité, ce n’est pas si hot.

8) Le manque de processus. Ça, ça m’enrage. Moi qui suis un bordel vivant pendant la création, quand arrive la production, je suis sans appel. Il faut que tout soit impeccable. L’idée est en jeu. La production est une mécanique précise et implacable. L’improvisation, c’est pour la LNI.

Tranche de vie Julivilloise pt.2

Je regardais les commerces bordant l’autoroute 20 à la hauteur de Sainte-Julie. C’est franchement déprimant. Après ça, imagine. Tu passes la soirée dans un bungalow lette d’entrepreneurs en écoutant une télé qui nivelle par le bas, conçue expressément par nous à Montréal pour la «cible» des gens qui vivent dans des bungalows lettes sur le bord de l’autoroute 20. Ça, c’est la plus grande menace:

9) La facilité. C’est la force d’inertie qui s’applique ici. Tsé, pourquoi se forcer à faire ça bien ou mieux quand, au fond, la majorité des gens n’y verront que du feu? Pas de conseils ici. Je vous laisse là-dessus.

Bonne réflexion.

 

Publié le 28 février 2018 dans Infopresse (version édité). Version intégrale ici.

Chacun cherche son chat

«À pratiquer plusieurs métiers, l’on ne réussit dans aucun.»
 Platon
«Aucun métier n’est bien marrant.»
 Zazie
«Trente-six métiers trente-six misères.»
 Michel Tremblay

Les grandes personnes

Je n’étais pas vieux. Sur la rue Henri-Julien habitaient les Ferland. C’était une famille de 13 ou 14 enfants. Pour subvenir aux besoins de sa tribu, le paternel cumulait les jobs. Le jour, le soir, la fin de semaine.

Mon père, lui aussi collectionnait les jobs. Mais une à la fois. Vendeur de gros chars dans les années 60, publicitaire et secrétaire de comtés pour le parti Québécois et le Rassemblement des citoyens de Montréal dans les années 70. Cuisinier à la fin de sa vie. Il excellait dans tout. C’était mon père.

Mes oncles, eux, ont fait carrière. Mon grand-oncle aux Pages jaunes (il faisait les petits dessins à la main) et mes oncles, un chez Bell et l’autre chez Télé-Métropole comme caméraman.

Ma marraine a étudié à l’Uqam et est devenue graphiste. Tiens donc.

L’éducation

J’avais 15 ans. Fallait bien faire un jour comme les grandes personnes. Mais quoi? En bon petit gars du quartier Saint-Louis-de-France, j’ai naturellement décidé d’être un agent de conservation de la nature. C’est comme ça que je me suis retrouvé en sciences pures… Misère.

Sérieux? Décider si jeune un métier pour la vie? L’école, finalement, c’est pour apprendre à se caser au plus sacrant? À nous casser au plus sacrant? À être un bon petit citoyen bien tranquille?

Non

Il y a 10 ans, j’étais directeur de création «digital». En plus des portions numériques de nos campagnes publicitaires, je concevais, avec mes équipes, un panneau par ici, une télé par là. Au lieu de m’occuper d’un bout de la problématique de mise en marché, je voulais tout prendre à bras le corps. J’ai demandé à mon grand boss la permission. Il m’a dit non. Reste-là, fais bien ce que tu sais très bien faire.

Je devais créer de la valeur, là, maintenant. Sans égard à demain. Sans égard à la personne que j’étais. Sans égard à mes aspirations. J’ai donc démissionné.

La curiosité

Jean-Jacques Olier était une école pilote. Un gros laboratoire. Grâce à de nouvelles méthodes d’enseignement (merci, madame Lumière), je suis devenu curieux. Grand bien me fasse aujourd’hui.

Beaucoup plus tard, chez Cosette interactif, nous avons cherché à trouver des moyens pour améliorer notre produit. La solution était simple, riche et complexe à la fois. Nous devions nous imprégner de la culture du moment. Des arts, du cinéma, du théâtre, de la littérature, du quotidien. Histoire de mieux innover.

La fin du directeur de création

Aujourd’hui, je suis designer graphique, illustrateur, publicitaire, photographe, rédacteur, éditeur de contenus, metteur en scène, stratège, conseiller, innovateur, entrepreneur. Me faire dire non il y a 10 ans, ce fut la plus belle chose qui me soit arrivé. J’ai su que pour faire LE métier de ma vie, celui de metteur en marché (et non pas celui de directeur de création), je devais en cumuler une très grande quantité. La société m’avait menti. Un métier ne suffit plus.

Il ne suffit pas d’avoir une bonne idée créative, un bon contenu brandé ou encore un bon positionnement stratégique pour mettre en marché une entreprise, un produit ou un service. Il faut tout ça et plus. Avec énormément de justesse, de synchronicité.

Il faut tout comprendre, tout savoir, tout vivre pour être au service des marques. La spécialisation n’est qu’une histoire de protectionnisme, de nombrilisme et de mise en marché caduque d’une industrie qui peine à survivre.

L’hyperspécialisation en question

Être bon dans tout. Je ne dis pas le top des tops. Juste bon.

Sacrilège. Impossible. Impardonnable. Cela ne se dit pas. À la limite, tu peux être bon, mais dans ta spécialité. Là, tu parles. Et surtout, touche pas à mon expertise.

Moi, je dis non. Assez, c’est assez. Soyez bon dans tout ce que vous voulez. Vous avez le droit. Pas besoin de devenir une superstar (tant mieux si vous y arriver). Allez-y. C’est vraiment trippant et hyper nourrissant.

Avoir du recul, une vue d’ensemble, en tout temps, c’est primordial. Plus vous êtes bon dans tout, mieux seront vos solutions. Pour l’amour de Dieu, vous n’êtes pas chirurgiens du cerveau, faut pas virer fou avec votre expertise unique, avec votre trop jolie petite plate-bande.

Soyons humbles et brillants à la fois. Prenons chacun la place qu’il nous faut, que nous méritons, aussi grande soit-elle, pour être bon.

Ne soyez pas un outil jetable, soyez la solution. 36 métiers 36 bonheurs. Et si votre agence est ringarde, tant pis pour elle.

«J’ai vieilli» – Zazie (en rappel)

 

Publié le 26 janvier 2018 dans Infopresse

Backflips, ratchets et canifs suisses

J’ai déjà écrit quelque part qu’il ne faut jamais terminer l’écoute d’un Ted Talk. Qu’il ne faut jamais terminer de lire le livre de ce gourou extraordinaire du marketing que vous aimez tant. Pourquoi? Eh bien, pour laisser votre imagination compléter la suite. Pour vous laisser la chance de choisir votre suite. Le prémâché fait de nous des moutons. Des suiveux. À tout coup.

Offrez-vous pour une fois une page à moitié blanche. Elle ne peut que vous inspirer la nouveauté. La réinvention. Laissez-vous porter par votre expérience, par votre intuition. Par votre sens de ce qu’est LA chose à faire. La pensée des autres est un tremplin. Vous seul devez faire le saut. Précipitez-le.

Et si vous suivez ce conseil, vous ne devriez pas lire ce papier jusqu’au bout.

Il faut faire souvent ce saut. Plus souvent aujourd’hui qu’hier. Pour voir ce que ça donne. Pour l’effet. L’adrénaline. Accumuler les expériences passées pour mieux faire son prochain backflip. Non pas pour la galerie. Pour une certaine satisfaction personnelle. Travailler le présent avec les leçons du passé pour un meilleur lendemain. Chercher du sens. Pas toujours facile en publicité.

Un truc si ça vous tente/chante, si le vide vous attire (ah, ah, ici, la métaphore est presque drôle à pleurer): les avancements technologiques, la science et les nouveaux médias sont immanquablement des occasions en or de tenter un nouveau backflip.L’avènement de la parole, du dessin et de la sculpture, de l’écriture, des tablettes sumériennes, de la presse de Gutenberg, des journaux, de la couleur en impression, des magazines, du design, de la psychologie, de la radio, des statistiques, de la télévision, de l’ordinateur personnel, d’internet, des réseaux sociaux, de l’intelligence artificielle… et j’en passe, autant de bons moments, de bons signaux, de bons jalons pour aller de l’avant. Et réinventer votre vie de communicateur. De marketeur. De publicitaire. Juste pour voir où ça pourrait vous mener.

Ici, le discours du changement est généralement polarisé. D’un côté, de tout temps, les apôtres intransigeants de la nouveauté à tout prix. De l’autre, les plus ou moins traditionalistes (les 70/20/10*), portés surtout par tout ce qui est «tried and true». Les raisons d’établir son camp sont multiples et respectables: savoir-faire, audace, convictions, foi, parts de marché, expérience, inexpérience, incompréhension, inertie. Une prise de position se traduit toujours par une spécialisation, une particularité de l’offre qui fait partiellement fi ou carrément abstraction du passé ou du présent/futur.

J’ai péché dans les deux camps. J’ai craché sur la télévision. J’ai vomi sur les réseaux sociaux.

Dites-moi, vous avez remarqué que toutes les avancées mentionnées ci-dessus sont, sous une forme ou une autre, encore et toujours aujourd’hui présentes dans nos vies? À bien y penser, chaque saut est un outil de plus dans notre coffre de communicateur. Pourquoi choisir? Pourquoi dénigrer? Pourquoi détester? Pourquoi choisir un coffre à moitié plein? À moitié vide?

Moi je préfère maintenant le coffre de luxe. Rempli de gadgets. Mais sans oublier les bons vieux ratchets et mon tournevis étoile. Et mon canif suisse naturellement. Je fais dorénavant des backflips avec mon coffre à outils plein à craquer. Et je n’ai plus de camp. Pourquoi choisir?

Ah oui, les réseaux sociaux, c’est un outil fantastique. Vraiment.

Tous nos nouveaux gadgets de communicateur/marketeur ont un mode d’emploi différent. Pas toujours plug & play, malheureusement. Il faut trimer fort, apprendre vite. Nous n’avons vraiment pas le choix. Aussitôt un de maîtrisé, un autre est déjà sur le marché. Utilisé. Vous avez joué avec Alexa ou Google Home récemment? Moi, je l’avoue, pas encore. J’ai hâte. Je tripe. Encore et toujours.

Tiens, j’offre une de mes demi-pages blanches à ceux toujours là à me lire. Un rappel pour certains, un aide-mémoire pour d’autres, certainement une clarification pour les nouveaux joueurs parmi nous.

Il y a, d’hier à demain et outre les outils choisis et leurs spécificités inhérentes (ce ne sont que des outils, après tout, pas une finalité), certaines composantes immuables et essentielles au succès de toute activité de communication digne de ce nom. Souvent malheureusement incomprises. Ou jamais proprement apprises. Après autant de sauts, voici où j’en suis:

La fondation d’une activité de communication est, de tout temps, constituée de trois éléments stratégiques incontournables et ficelés très serrés. Ils forment son blueprint:

  1. L’histoire racontée** (sa promesse, sa structure, ses formes dans le temps et l’espace, ses «acteurs»)
  2. Le choix et la chorégraphie précise des canaux de diffusion de cette histoire (de simple à complexe selon la réalité de l’auditoire)
  3. La portée de sa distribution (la justesse de son ampleur, petite ou grande)

Aucune nouvelle technologie, aucun nouveau saut n’a altéré à ce jour ce principe, cette recette de base. La même, du philosophe grec propageant sa pensée à la programmatique, en passant par votre cuisine et aux confins de l’espace avec Voyager. Et ne confondez pas, svp, cette fondation avec la mesure de son succès (encore trois éléments qui feraient jolis dans un PowerPoint). C’est-à-dire:

  1. L’engagement (souvent synonyme de portée gratuite et d’endossement)
  2. La conversion (l’achat, l’abonnement, la participation)
  3. La fidélité (la relation à long terme)

Tout ça, si simple. Encore une fois, si immuable. Malgré la nouveauté quotidienne. Malgré les nouveaux gourous. Malgré votre prochain saut.

Malheureusement, peu de campagnes sont réellement bien ficelées serrées. La répartition des tâches en agence et la diversification des agences par média n’aidant pas la cause. Par expérience, tous tirent la couverte. Tous ont la vérité. Tous ont leurs PowerPoints. D’où l’importance d’identifier, par acte de communication, par campagne, par déploiement d’une marque dans le temps, un architecte. Un responsable de l’édifice. Un créateur/gardien/visionnaire de l’histoire à raconter, à diffuser. Ce rôle primordial requiert naturellement une compréhension globale, holistique du métier.

Une piste pour l’attribution de ce rôle: donnez-le à l’apôtre le plus fervent de votre projet. Qu’importe son rôle actuel. En passant, vous ferez probablement tomber de murs.

Hey! Vous avez tout lu ce truc? Bon, pour cette fois, c’est OK. Ce n’est que mes mots, une demi-page gribouillée, sans trop de conséquences. Pour vous punir, promettez-moi d’inventer votre avenir. De bâtir vos idées. Il n’y a jamais de meilleures époques pour être précurseur, penseur, éclaireur. Celle-ci est la vôtre si vous le désirez. Cette occasion est à prendre maintenant. Et je parle surtout à vous, les filles. Trop longtemps à l’ombre des garçons et de leurs power trips, de leur ego. 2018 est à vous. La table est plus que mise. C’est votre tremplin pour les années à venir. Réinventez notre monde. Please, please, please. Ça urge.

Nous en avons tous grandement besoin. Et on sera là avec vous, à vos côtés. Promis.

* 70/20/10 = 70% de trucs «prouvés», 20% de trucs nouveaux pour les annonceurs, mais pas pour l’agence, 10% de trucs innovants. Une recette, une slide, à la fois sécurisante et conservatrice, particulièrement en pitch.

** Une «histoire racontée» en pub, en comm, n’est pas une histoire à la «il était une fois…». La chose s’apparente plutôt à un langage, avec ses mots, sa syntaxe, ses «acteurs». Chacune de ses itérations étant une nouvelle «phrase», un nouveau «chapitre» contribuant à la tâche en cours et à l’édifice qui est la marque.

 

Publié le 8 janvier 2018 dans Infopresse

Le choix

C’était dans le National Geographic. Un reportage sur l’Appalachian Trail. Un truc à faire à pied qui va de la Georgie jusqu’au Maine. En six mois! Sur la photo, il y avait une femme et son chien. Pour des raisons, disons, personnelles, j’avais besoin d’un gros bol d’air. C’est comme ça que j’ai abouti sur la trail, seul comme un grand.

C’était il y a 30 ans.

La chance a fait que j’étais juste là, dans ce coin du New Hampshire, au moment où les randonneurs qui faisaient la totale s’y trouvaient aussi. J’y ai rencontré des gens magnifiques. Une chirurgienne, un étudiant du MIT et une dame de 65 ans. Elle était seule sur la trail depuis cinq mois, loin de son Oregon natal, ridée comme un raisin sec, belle comme un cœur, avec les jambes d’une gamine. Nous avons marché ensemble pendant une journée.

Sur un sommet, nous avons dîné. Elle m’a regardé attentivement, sans mots dire, manger mes noix, mes dattes, mes figues et mes bananes séchées. Puis, elle m’a posé une question qui résonne encore à mes oreilles. Les machins que je mangeais, ils poussaient par chez nous?

– –

Ce fut mon premier vrai de vrai baptême écoresponsable. Manger local. Mais encore plus important, j’ai appris ce jour-là que j’avais la possibilité de faire des choix dans la vie. Des choix possibles qui pouvaient être le miroir de mes valeurs, de mes aspirations. Je constatais, d’une manière diffuse, que nous pouvions faire des choix, en tant qu’individu et en tant que citoyen, pour son bien, celui de l’environnement et celui la collectivité aussi.

Merci, merci, chère demoiselle. Vous avez changé le cours de ma vie.

C’est aussi depuis cette rencontre au sommet que je crois vraiment fucking fort que mes gestes, nos gestes et, depuis quelques années, nos posts et nos tweets vont changer le monde pour vrai. Qu’ils vont nous changer tous. Un peu beaucoup à la longue, qui sait? Petit à petit. Pourquoi pas?

Avec mes achats, nos achats, nous allons influencer big time le principe de l’offre et de la demande. Que le petit bout d’allée bio et équitable dans mon supermarché va devenir le magasin au grand complet dans le temps de le dire. Que nous aller tous ditcher l’essence et le mazout si je le fais, si tu le fais. Que vous allez tous être socialement responsables si je le suis. Que les nouvelles générations comprendront enfin, à force d’éducation, que le beau gazon vert et uniforme, ça n’existe pas.

Ben non, faut croire.

Je suis encore aujourd’hui aussi romantique que le ti-cul de 20 ans qui flirtait les demoiselles de 65 ans sur la montagne. En fait, non, je suis devenu bête. Je me suis creusé un foutu gros sillon. Le mien. En pensant que vous étiez pour aussi creuser le vôtre. Pour y planter vos aspirations. Et que les gouvernements et que les entreprises suivraient. Pis que nous étions pour tous chanter pas trop faux.

Pas vraiment, finalement.

L’allée bio du supermarché est restée petite. Pis les gros chars reviennent à la mode quand l’essence baisse. Pis le pipeline va reprendre du gallon d’ici peu. Pis le racisme et la stupidité sont toujours aussi rampants. Misère.

Finalement, tout, mais tout peut prendre le bord, l’instant, mettons, d’un gouvernement réactionnaire.

D’un côté, les forces en place de la vielle Amérique et de la vielle économie ont la couenne dure, le pouvoir économique, le pouvoir de la désinformation et la volonté d’une locomotive lancée à toute allure. De l’autre, un paquet de monde bien-pensant, vous et moi probablement, seul ensemble, brouillons et assurément désorganisés.

Oui, je pense qu’il faut continuer d’acheter politiquement, socialement, écologiquement, responsablement. C’est la clé pour amorcer le changement et le progrès social dans notre société capitaliste (merci Laure). Mais nous manquons sérieusement d’esprit d’équipe. Nos gestes isolés sont fantastiques, mais ils sont passifs et ils manquent de portée. Nos frustrations sur les réseaux sont éloquentes, mais elles ne servent qu’à nous rassurer. C’est notre opium.

Nos comportements sont individuellement bons, mais peu efficaces.

Nous devons dorénavant et impérativement nous organiser. Faire porter notre voix. Amplifier la portée et le message au-delà de l’achat individuel. Bon, je n’ai pas de réponses toutes faites pour vous. Pas d’idées fast food applicables instantanément. Et je suis loin d’être un révolutionnaire patenté (même si le militantisme de mon père vient hanter ma vie adulte). Mais j’ai l’instinct que nous pouvons faire mieux.

Pour ceux qui en ont marre du statu quo ou, pire, du recul, voici quelques pistes de suggestion pour l’action figure en puissance en vous:

Gossez-vous une pancarte. Les rassemblements massifs des dernières semaines sont encourageants. Voir les gens revendiquer leurs droits les plus fondamentaux par milliers sur la place publique ne laisse personne indifférent. Les voix s’élèvent et se font entendre. Mieux, de telles actions concertées incitent certaines marques à prendre la parole, enfin. Des gens influents, des politiciens et des juristes s’en inspirent et agissent. Tous ça est loin d’être passif. De grands changements sociaux sont historiquement issus de telles prises de parole. En prime, ça fait de bien belles photos pour votre wall.

Boycottez en gang. Appelez au boycott massif des marques délinquantes socialement. Nous ne pouvons pas parler des deux côtés de la bouche. Nos actions économiques doivent impérativement suivre nos valeurs. L’achat responsable opère le changement. Le non-achat peut enrayer la plus grosse des machines. Pour nous, publicitaires, le choix se pose aussi. Ce n’est jamais payant, à long terme, de jouer à l’autruche.

Influencez vos clients, vos pairs. Encouragez vos clients à poser des gestes sociaux. Aidez-les à les concevoir et à les appliquer. C’est bon pour eux. C’est bon pour vous. C’est fantastique pour la société. Vous pouvez même les inspirer à changer leurs pratiques d’affaires. C’est très possible et toujours payant. Demandez à vos clients de cesser d’annoncer dans des médias incitant au racisme, à l’intolérance. Parlez à vos collègues. Ils ne se doutent peut-être pas du pouvoir d’influence qu’ils ont au quotidien. Il est très réel.

Faites porter votre voix, parlez, écrivez, créez. Vous avez une prédisposition à l’écriture? Vous êtes orateur hors-pair? Vous êtes artiste, illustrateur à vos heures? Vous avez des opinions et des expériences à partager? Profitez de votre talent. Évangélisez et enrôlez. Les méthodes séculaires sont, ma foi, encore très efficaces.

Militez pour une cause qui vous tient à cœur. Plusieurs organismes vont vous accueillir à bras ouverts. Dans notre société individualiste, le militant est une denrée rare. Osez. Vous donnerez un sens profond à votre vie. Ça manque par les temps qui courent. Le sens profond.

Faire toujours mieux, dépasser le geste individuel, faire en sorte d’accélérer le changement. Donner à ce changement une impulsion si forte qu’il sera irréversible.

Ce choix existe. Il est à prendre. Par moi. Par vous.

 

Publié le 6 février 2017 dans Infopresse

Le cœur à la bonne place

Nous ne comprenons pas. Il faut nous expliquer. Nous avons besoin de savoir. Nous avons besoin de savoir parce que nous ne sommes pas contents du tout. Parce que nous sommes révoltés. Parce que nous sommes furieux. Parce que nous sommes franchement tannés.

Et passablement frustré.

La nouvelle est tombée hier dans Infopresse ici au Québec et il y a quelques jours dans Marketing au Canada:

Pentagram, un studio de design New Yorkais, a créé le nouveau logo et la plateforme graphique de la Fondation canadienne des maladies du cœur et de l’AVC.

Nous avons des questions. Et nous voulons des réponses.

1 – Nous aimerions savoir: combien d’heures de bénévolat (de pro-bono) les firmes, agences et studios de design canadiensont généreusement offertes à la Fondation depuis sa création?

2 – Nous aimerions savoir: combien valent, au total, lesdites heures canadiennes de bénévolat. En fait, non, plus simplement, nous aimerions savoir si vous leur accordez une valeur quelconque. Au minimum, symbolique.

3 – Nous aimerions savoir: pourquoi la Fondation a donné ce mandat – a signature piece – à une firme non canadienne?

4 – Nous aimerions savoir: pourquoi, si c’était un «pitch», une firme américaine, aussi bonne soit-elle, s’est retrouvée parmi les finalistes pour le mandat de la Fondation? Vous n’avez pas de politique à l’égard d’une telle situation?

5 – Nous aimerions savoir: la Fondation et ses administrateurs pensent-ils que les designers canadiens ne sont pas assez bons pour réaliser un mandat comme celui-ci? Aucun?

6 – Nous aimerions savoir: connaissez-vous les firmes de design canadiennes? Les designers canadiens? Québécois? Avez-vous besoin d’une mise à jour (c’est vrai que le Canada est grand…)?

7 – Nous aimerions savoir: pourquoi avoir donné le mandat d’un logo et d’une identité graphique à des Américains qui n’ont aucune idée de la réalité bilingue du Canada? Vous n’êtes pas soucieux des dons provenant du Québec? (NDLR: le logo est une représentation graphique de Heart & Stroke, nom anglais de la Fondation). Peut-être avez-vous balayé du revers de la main ce petit problème? Avez-vous assumé volontairement ce «fail»?

SVP, aidez-nous à comprendre.

Et n’oubliez jamais que nous sommes là. Pour vous aider. Vous soutenir. Tous autant que nous sommes. Canadiens. Sans jeu de mots, et mine de rien, nous avons le cœur sur la main.

Mais il ne faut pas abuser.

Si vous voulez cosigner ce papier, dites-le dans les commentaires, puis partagez les questions.

 

Publiée 29 novembre 2016 dans Infopresse

La peste

Ça sent la pourriture. La gangrène. Juste comme ça, l’espace d’une semaine, les relents de racisme, de misogynie et de bigoterie, autrefois relégués à nos bas-fonds et à nos poubelles, sont devenus pestilentiels. Chaque jour amène son lot de puanteur fétide.

Je suis désolé
Je n’ai que deux pieds
Je n’ai que deux pieds
Franchement désolé
– Deux pieds, Thomas Fersen

À croire que ça s’attrape en respirant l’air ambiant. Le résultat de l’élection présidentielle américaine n’a pas que réveillé un tas d’imbéciles, elle les a cautionnés. Nice job. Je peux difficilement rester muet devant ce grand tas de merde monumental.

Oh, je ne suis pas colon, pas tant. Je sais bien qu’ils étaient tous là déjà, bien vivants, la grande majorité en hibernation prolongée. Et pas que là-bas, ici aussi. Dans notre propre cour. Certains montraient déjà le nez. Nous, les bien-pensants, quelques journalistes et la grand-messe du dimanche soir, on les rabrouait un peu. On a été outré comme du monde. Aille toi, chose, quand même, ça suffit. Ils reculaient un peu dans leurs trous, s’assurant quand même de laisser dépasser leurs groins malodorants. On était fier pet d’avoir fait notre job.

Ben non. Faut pas trop se trouver bon tout de suite. La job commence drette-là. Une chance qu’on s’a, vous et moi. Je vous dis. On a du pain sur la planche en joual vert.

À la guerre comme à la guerre

La boue, ça s’infiltre partout. Nous l’avons vu, dorénavant, la grossièreté s’invite au grand jour. Dans nos salons, au travail, dans nos réseaux sociaux, dans nos tranchées. Mais souvent aussi au détour d’un geste, d’une décision, d’une allusion. Dans les conversations les plus anodines. Dans notre quotidien.

J’ai dit une chance qu’on s’a plus haut. Mets-en. On va combattre la moronnerie ambiante, la bêtise rampante. Watch out. Mais attention, la morronerie n’a pas toujours la gueule de l’emploi, c’est plus subtil que ça, la connerie.

Je suis fâché. Vraiment. En beau fusil. Tant d’années de luttes pour le droit et l’égalité des femmes, Pour le droit à l’avortement. Pour la liberté d’être et penser. Pour la liberté de religion. Pour nos libertés individuelles. Pour être celui ou celle qu’on veut être vraiment. Hétéro, homo, trans, name it. Pour une société juste et inclusive. Ce n’est pas aujourd’hui qu’on va lâcher le morceau. No fucking way. Il y a résistance. Vous n’avez pas idée. Car rien n’est jamais acquis. Surtout pas par les temps qui courent. Pour ça, il vaut être ensemble. Pour se battre à bras ouvert. À cœur ouvert.

Je n’ai que deux pieds

Seul ensemble, c’est pas assez. Seul ensemble, on s’agite, on s’excite. On a l’impression de participer, de faire une différence. On relaye la nouvelle. On dit notre opinion. Elle est belle, notre opinion. Oui, oui. Ça fait beau sur son mur. Ça fait joli.

À la maison, entre amis, au bureau, à plusieurs, nous pouvons réellement faire une différence. En refusant catégoriquement tout comportement entraînant la discrimination et le mépris de l’autre. En refusant aussi catégoriquement la banalisation de la connerie.

Nous ne cautionnerons jamais la haine.

En tant que communicateurs, que publicitaires, nous sommes sur la première ligne de front. Ensemble, nous avons énormément d’ascendance sur la société. De pouvoir d’influence. De pouvoir. Et avec le pouvoir viennent de grandes responsabilités. Ne l’oubliez jamais.

Nous ne jouerons jamais le jeu de la complaisance. Nous n’allons jamais encourager une pensée ou des comportements qui vont à l’encontre de nos valeurs fondamentales. Et cela, autant dans nos interactions, avec les collègues ou avec nos clients, que dans nos décisions quotidiennes. Nous ne serons jamais le porte-voix d’une idéologie destructive, exclusive. Dans notre travail ou dans notre manière de faire.

Je n’ai que deux pieds. Mais c’est pas une raison. Je sais que nous sommes une méchante belle gang. Une belle grosse gang. Nous ne baisserons jamais les armes du cœur et de la tête. Pas nous. Dites-le moi.

Rassurez-moi.

 

Publié le 16 novembre 2016 dans Infopresse.

Qui a peur du changement?

Avant chaque move* de carrière, je vais prendre un café avec lui. Pour entendre ses conseils. Pour me rassurer surtout. La première fois, c’était quand même pour lui donner ma démission, alors, vous savez, je lui dois bien ça. Yé fin comme ça, le mec. Merci vieux. Sans blague.

Mais la dernière fois, il y a trois ans, je dois avouer que j’avais la chienne. J’avais vraiment besoin d’une oreille bienveillante. Me lancer en affaires, sans parachute (il faut dire que je suis un né en bas de l’Avenue des Pins, pas en haut), après tant d’années sur le payroll… On devient junkie assez vite pas à peu près, assis confortablement sur ses chèques aux deux semaines.

Tout de go, après lui avoir raconté mon histoire, mon idée d’agence agile, sans employés, seulement avec des collaborateurs triés sur le volet pour les besoins des annonceurs et des projets, il m’a dit, attention, tu risques de te retrouver avec des clients B ou C.

Misère.

Je vous explique. Les clients B ou C, ben, c’est les miettes des agences. Ce sont les annonceurs qui ne font pas tripper les grosses agences. Des comptes avec peu de potentiel de bon PRet peu de potentiel de gagner des prix. Ce sont ceux aussi avec pas assez de cash pour payer l’overhead.

Pour finir, de bon conseil, et aussi assez visionnaire, faut dire, il m’a lancé: «Tu devrais peut-être te concentrer sur la création de contenus. C’est le truc qui va devenir à la mode. C’est peut-être plus safe. Pis ça va nous complémenter, nous, les agences.»

C’était p-a-r-f-a-i-t. C’était exactement ce que je devais entendre pour me décider à descendre finalement du bus. Il venait, sans s’en douter, de me convaincre de me lancer corps et âme dans la réinvention de la prestation de services en publicité. Fuck les modes. Nous allons nous attaquer au plus gros morceau. Il venait aussi de me donner une mission supplémentaire. En plus de réinventer, avec mes collègues, la forme optimale de l’agence contemporaine, je prouverai que cette nouvelle forme d’agence peut attirer les meilleurs clients. Les clients A.

Les clients A?

Oui oui, les clients A, très certainement. Just watch us. Mais B et C aussi. Ils sont aussi importants. Du plus petit au plus grand. Faisons fi de la catégorisation. Notre métier, c’est de mettre en marché des marques, des produits et des services. Ils méritent tous notre attention la plus dévouée.

Automne 2016. Trois ans plus tard. Contre toute attente, ce nouveau modèle d’affaires fonctionne admirablement et livre des projets remarquables, allant de la simple affiche aux stratégies de mise en marché les plus complexes et variées. Parfois, nous sommes quelques-uns, une toute petite équipe tactique, parfois, nous sortons les gros canons, des équipes complètes, complémentaires et tissées serrées sont crées, allant du stratège marketing au gestionnaire de communauté en passant par le directeur de création, le directeur artistique, le rédacteur, le producteur, le stratège média, le conseiller en relations publiques, le gourou du web et de la conversion, la maison de prod, le conseiller et j’en passe. Ce modèle adaptable séduit de nombreux clients, petits et grands, localement, nationalement et internationalement. Mais le plus beau dans tout ça, c’est que cette idée attire et fait des petits. Les artisans indépendants adorent y participer et en redemandent (ils ont enfin une voix, un impact et une place de choix au cœur de la création des projets marketing). Plusieurs collègues aussi embrassent ce modèle d’agence nimble. En pub, en design, en événementiel, en relations publiques, en médias. Toutes les sphères de notre métier y passent. Et vous savez quoi? Ces nouvelles agences travaillent et se présentent ensemble. Collaborent pour vrai, entres elles et avec les annonceurs. Imaginez maintenant la force et l’efficacité marketing et budgétaire de ce type d’organisation où rien ne dépasse. Jamais. Juste du bois deboute comme on dit.

Un nouveau choix existe. Une offre parallèle, forte, performante et immensément créative est dorénavant disponible. Une offre qui livre la marchandise. Nous en sommes tous la preuve vivante.

Qui a peur du changement?

Moi, naturellement. C’est instinctif… Ou acquis? Vous savez? Faudrait bien que j’étudie la chose… En tout cas, je sais bien que les habitudes sont confortables. Y’a rien comme mes bonnes vieilles pantoufles. Croyez-moi. Mais je sais aussi que mettre ses runnings, c’est pas mal trippant. Pousser les frontières, ses frontières, c’est payant. Ça fait grandir big time. Ce que ça donne, c’est parfois surprenant.

Notre industrie est un beau grand bateau. Faut juste faire attention qu’elle ne devienne pas un beau grand paquebot. C’est un peu pour ça aussi que j’explore, avec mes runnings, des nouvelles façons de faire et que je vous partage mes trouvailles, mes expériences. C’est pour nous aider tous à réfléchir à ce que nous faisons et à comment nous le faisons. Au fond, même si on est présentement juste une petite gang à faire les choses, disons, différemment, j’espère toujours qu’en vous racontant tout ça, vous y pensiez un peu. Histoire d’avancer, de faire une différence au sein de votre agence. Et pas nécessairement celle dont je parle plus haut. Tout est toujours à réinventer. Le statu quo n’est jamais une option.

Vous savez, l’air du large, quand le voilier file à vive allure, c’est enivrant.

 

* Ce texte est écrit en franglais de Montréal, une langue vivante que j’adore.

 

Publié dans Infopresse le 27 octobre 2016

La troisième fenêtre

Ce texte est le dernier d’une série de trois explorant les sources de la créativité. Celui où je regarde au travers la troisième fenêtre, celle de l’avenir (lire Les fenêtresLa première fenêtre et La deuxième fenêtre).

 

«Et les villes s’éclabousseraient de bleu»
– Jacques Brel, Extrait de La Quête/L’Homme de la Mancha. 1968.

«Moi, je dirais que je suis volontairement optimiste»
– Hubert Reeves, Extrait du prologue de La belle histoire de Claude Lelouch. 1992.

Au printemps de 1963, une rencontre remarquable a eu lieu au Château Montebello, en Outaouais. Une rencontre qui allait ouvrir toute grande une immense fenêtre sur le futur. Une fenêtre sur le futur des habitants de notre magnifique vaisseau interstellaire (en référence au Spaceship Earth, nom donné à la planète Terre par Buckminster Fuller). Mais aussi, surtout, sur notre futur. Celui de tous les Québécois et de toutes les Québécoises. Une rencontre conviviale et unique où, l’instant d’une mise en commun de quelques jours, des écrivains, recteurs, professeurs, architectes, neurologues et gestionnaires du monde des arts ont imaginé notre avenir collectif, celui de notre humanité. Une rencontre où des hommes et des femmes ont imaginé la Terre des Hommes.

Dans le dernier chapitre du recueil de textes intitulé Fragiles lumières de la Terre, Gabrielle Roy nous raconte comment ce petit groupe de penseurs ont si magnifiquement élaboré et structuré leurs idées autour de ce thème inspiré du roman de Saint-Exupéry.

La collaboration entre les peuples de la Terre, entre tous ses habitants, cette fraternité possible et extraordinaire, sera, déterminera, notre avenir commun. Notre bien-être à tous, sans exception. Le progrès grâce à la solidarité humaine sera dorénavant notre leitmotiv. Le progrès comme outil pour le mieux-être de tous les habitants de notre petite planète bleue voguant dans l’univers.

Un merveilleux projet. Beaucoup plus grand que l’événement qu’il a engendré. Une utopie peut-être, mais qui a fait des rejetons. Un projet qui fut une source d’inspiration profonde pour des générations à venir, ici chez nous et ailleurs aussi, j’en suis certain.

Une poignée de gens, le temps de quelques jours, imaginant le futur. Quoi de plus fantastique. Si je pouvais vous remercier tous aujourd’hui, vous qui étiez invité à inventer cette vie que nous vivons aujourd’hui, je le ferais avec gratitude et beaucoup de reconnaissance.

Hier, la promesse de Kennedy de marcher sur la Lune avant la fin des années 60. Hier encore, une certaine vision du progrès et d’un avenir solidaire entre les nations. Aujourd’hui, le désir d’un environnement sain pour nos enfants et leurs petits enfants. L’idée d’une économie durable et celle des énergies renouvelables. La perspective d’enrayer à jamais la pauvreté, la maladie. D’en finir pour de bon avec la guerre. Le projet de coloniser Mars.

L’invention d’un monde meilleur, d’un jour meilleur. Chaque jour, une certaine vision du futur en tant que moteur de créativité. D’invention. De réinvention. D’évolution. Demain comme un objectif qui nous fait vibrer aujourd’hui. Qui nous fait danser, marcher, courir. Qui nous entraîne à nous surpasser. À nous entraider.

Il suffit d’être volontairement optimiste, disait M. Reeves. J’ajouterai qu’il faut aussi être volontairement humaniste.

Il faut parfois larguer le passé et le présent pour mieux aller de l’avant. Délester le quotidien, les modèles en cours, en vogue. M. Buckminster Fuller a eu une très belle pensée à ce sujet: «You never change things by fighting the existing reality. To change something, build a new model that makes the existing model obsolete.» («On ne peut changer les choses en combattant la réalité existante. Pour changer quelque chose, il faut construire un nouveau modèle qui rend obsolète le modèle existant.»).

Choisir le futur, c’est y faire son nid. Sa maison. Son laboratoire. C’est une quête incessante. Difficile certes, mais combien gratifiante. Qui peut, pour le passant ou le spectateur mondain, ressembler à une fantaisie naïve. Une lubie bizarre. Un peu loufoque. Faut vraiment choisir d’être le fou sur la montagne. Le présent et son obsession maladive pour la performance immédiate n’ont cure des lendemains. Faut bien avoir les deux pieds sur Terre, n’est-ce pas?

Oui, mais. Encore faut-il que cette bonne vielle Terre nous supporte encore un peu. C’est à nous tous d’y voir. Aujourd’hui, pour demain. Chacun pour l’autre.

C’était à l’Impérial, l’une des plus belles salles de cinéma de Montréal. Malgré la distance, je me souviens nettement de mon état au moment où j’ai mis les pieds sur le trottoir de la rue Bleury quelques minutes après la fin de la représentation. J’étais abasourdi. Sonné. Je n’avais justement pas du tout les deux pieds sur Terre. J’ai maintenant la certitude que le monde qui existait avant d’entrer dans ce cinéma n’était plus celui qui était là, à ce moment, devant mes yeux, pourtant si exactement pareils, mais dès lors, si profondément différents. Pour moi, et sûrement pour d’autres aussi, une brèche s’est ouverte ce soir-là entre le présent et le futur. La perspective d’un Nouveau Monde est apparue. Un monde des possibles. Un monde où tout est possible. Et pas que dans la fiction ou la science-fiction. En percevant cette fenêtre, un adolescent du Plateau Mont-Royal fut intimement et profondément changé à jamais.

Je venais d’assister à l’une des premières représentations de Star Wars à Montréal.

Je ne pourrais mieux écrire ou mieux terminer cette série de textes sur les sources de la créativité qu’en reproduisant mes propres mots (vous savez, un fou sur la montagne peut tout faire):

Il y a enfin ma fenêtre sur le futur. Elle est composée de plein de petites lentilles, toutes un peu opaques, mais de toutes les couleurs. La lumière y passe et crée de formidables danses sur le plancher et les murs de mon atelier. Tout comme mes chats, je tente de les attraper. C’est amusant. Tout comme eux, je recommence aussitôt que la lumière frappe à la fenêtre. Sans jamais me lasser. (Extrait de Les fenêtres)

 

Publié le 6 octobre 2016 dans Infopresse.

La deuxième fenêtre

 Ce texte est le deuxième de trois explorant les sources de la créativité. Celui où je regarde au travers la deuxième fenêtre, celle du présent (Lire Les fenêtres et La première fenêtre).

 

LOVE ME. Six lettres majuscules et monumentales. Peintes sur un toit de Montréal. Celui du New City Gas dans le quartier Griffintown*. Matin et soir, on peut les voir défiler en toute majesté par la fenêtre du train de banlieue.

Six lettres comme un appel. Six lettres comme un cri. Six lettres magistralement magnifiques. Six lettres pour résumer notre époque. Croyez-moi, si l’on regarde ce truc longtemps, on voit, entre ces lettres blanches, notre solitude toute propre et toute contemporaine.

Comprendre, écouter, vivre et chérir le présent. Se laisser submerger par sa beauté. Sa laideur, ses horreurs aussi, parfois. Se laisser éblouir par ses contrastes et ses paradoxes. Se laisser entraîner par son tourbillon, sa mouvance, ses possibilités et ses infimes subtilités. Par sa banalité. Être fasciné par tous ces gens qui le composent.

Surtout, bien situer le présent entre son passé et l’avenir. C’est con à dire comme ça, mais c’est primordial. Pour mieux le restituer. Pour mieux y contribuer. Pour mieux le façonner. Jour après jour. En art, en cinéma, en littérature, en poésie, en actions quotidiennes. En révolution, parfois.

Les plus grandes œuvres, les plus grandes créations, sont immanquablement le miroir de leurs époques. Elles en sont indissociables. Leurs matières premières s’y retrouvent à grandes pelletées.

Petit, à l’heure d’aller dormir, j’avais toujours hâte au petit matin. Chaque nouveau jour était la promesse de nouvelles aventures dans la forêt, de pêches miraculeuses et d’ajouts fantastiques à ma collection de bestioles. Je découvrais mon univers. Je le cartographiais. Aujourd’hui, je dirais plutôt que je peuplais mon imaginaire. Je façonnais ma pensée avec les retailles du quotidien. Je donnais un sens à ce qui m’entourait, m’habitait. J’apprivoisais chaque nouveau jour pour mieux m’y retrouver. Pour mieux le recréer. Différemment, autant que possible.

À bien y penser, je fais la même chose aujourd’hui. Je me lève toujours aussi tôt. Ou presque. J’ai toujours hâte à demain, mais au lieu des bibittes, je vous collectionne vous, au gré des jours, de mes rencontres et de mon travail. J’ai en effet troqué mon chapeau d’entomologiste amateur pour celui d’ethnologue amateur. Vous êtes une source intarissable d’inspiration. Tous autant que vous êtes.

Pour vrai, vous êtes la matière première de mon travail. Je ne saurais créer sans vous. Sans vos vies. Sans vos envies, vos manies, vos joies, vos petites lois, vos désirs, vos travers, vos amours, vos peines et vos espérances. Je ne saurais créer sans vous aimer. Une vie n’est pas suffisante pour vous collectionner tous, pour nourrir l’esprit d’un créatif. Il faut en vivre pleinement des centaines, des milliers chaque jour. Une tâche colossale. Un grand bonheur aussi.

Voir ne suffit pas, il faut savoir regarder.

Entendre ne suffit pas, il faut savoir écouter.

Pour vivre des milliers de vies, il faut être curieux. Il faut prendre le temps. Ce temps si précieux et si bizarrement absent de nos vies. En fait, si, il existe ce temps, il faut seulement le trouver, entre deux instants, entre deux lieux. Un peu comme dans une séquence au ralenti d’un film de Wes Anderson.

Par cette fenêtre grandiose, si, par mégarde ou par amour, vous vous y attardez, si vous y consacrez un instant fragile, on y peut regarder pleins de trucs utiles pour bâtir sa propre cosmologie. Moi, j’y vois des rencontres fortuites, des expériences de vie, des drames humains, des moments magiques. Le plus beau dans tout ça, c’est que cette fenêtre est constamment ouverte. C’est à vous d’en profiter.

C’est quoi déjà, une cosmologie? C’est, disons, comme une belle grosse motte de matière première qui vous servira un jour pour construire vos belles grandes idées. Pour créer votre prochaine stratégie de marketing, pour écrire votre prochain roman ou pour faire une bien belle installation. Ça peut être aussi tout simplement pour faire une différence dans l’univers. Ça, c’est votre affaire.

Ah oui, plus votre motte est grosse, plus vous avez des chances d’en comprendre ses arcanes. Et plus votre motte est grosse, plus vous aurez de chance d’avoir de bonnes idées.

Si je vous dis un secret, vous pouvez le garder pour vous?

Dans un racoin du présent, il y a une autre petite fenêtre. Vraiment toute petite, celle-là. Elle me fait penser aux fermetures éclair dans les bandes dessinées de Philémon ou encore à la petite porte dans Alice au pays des merveilles. Peu de gens constatent son existence. C’est la fenêtre des possibilités. Elle s’ouvre et se referme chaque jour. Dans cette fenêtre, on peut voir la probabilité d’une nouvelle idée. On peut voir la probabilité de l’existence de cette nouvelle idée. De l’existence d’une idée toute fraîche, jamais vue ou entendue. Une idée qui ne saurait qu’exister aujourd’hui.

Je dis ça juste au cas, si, un jour, l’envie vous prend de dessiner un beau grand graffiti sur un toit brulant. Sait-on jamais.

* LOVE ME est une œuvre de Curtis Kulig et de Michael Tamzil, circa 2012.

 

Publié dans Infopresse le 20 septembre 2016

 

La première fenêtre

Ce texte est le premier de trois explorant les sources de la créativité. Celui où je regarde au travers la première fenêtre, celle du passée (Lire aussi Les fenêtres).

 

J’étais en secondaire 3 à la Polyvalente Émile-Nelligan en plein cœur du quartier montréalais Saint-Louis de France (aujourd’hui le Plateau). Pour se replacer un peu, disons que c’était une école rough, très très rough, située dans un coin pauvre de Montréal vers la fin des années 70.

C’est pourtant dans un petit atelier de cet enfer (protection, agressions, vandalisme, grèves, école sous tutelle, etc., etc.), animé par un frère, probablement rescapé de la réforme scolaire de la Révolution tranquille, que quelques adolescents/adolescentes ont appris à distinguer et à reconnaître les peintres du XIXe siècle. Sa méthode était simple: il projetait au mur un tableau pendant quelques secondes. Ensuite, nous devions le décrire. Sujet, personnages, couleurs, composition, détails, ambiance, intention. Tout, quoi.

Puis, il y a eu mon prof d’histoire de l’art au Vieux, M. Planchard. Lui, c’était comme un télescope vivant vers le passé. Pas le passé de notre univers, mais celui de notre humanité. Il remplissait la salle de classe d’artefacts, sculptures, palais, cathédrales et tableaux qu’il avait lui-même photographiés. J’allais même assister à ses Conférences Du Maurier (eh oui) sur l’art à la salle Port-Royal chaque dimanche matin. Je découvrais alors notre héritage. Notre plus fabuleux trésor. Celui de l’art, de l’architecture et de la pensée.

Milieu des années 80. Concordia. Deuxième année du bac en design graphique. Deux professeurs ont eu aussi changé ma vie à jamais. Israël Charney et Angela Grauerholz. Ce qui les distinguait? Leur passion, naturellement. Tout deux travaillaient et enseignaient à la fois. Quotidiennement, du studio à l’université au studio, dans une danse folle, digne de la Loie Fuller. De cette danse, ils nous rapportaient des livres de leurs studios. Des livres et des monographies sur les artistes, les photographes et les designers graphiques modernes et contemporains. C’est à ce moment que le XXe m’a frappé. Comme une bonne claque derrière la tête qui ne se donne pas assez souvent. La claque du XXe, je veux dire.

En parlant de claque derrière la tête, j’oubliais M. Losique et son cours de cinéma français. Deux films le lundi soir pendant un an. Des Lumières à Truffaut en passant par Renoir. Fascinant. Tous ces réalisateurs, tous ces acteurs et toutes ces histoires m’habitent encore. Merci M. Losique.

J’ai toujours aimé flâner dans les librairies et les musées. Pour lire. Parfois un livre. Parfois une œuvre. C’est important, la lecture.

Un jour, il y a quelques années, j’ai rencontré un grand designer graphique montréalais. Un vraiment bon. Je vous jure. Il me disait, comme ça, candidement, qu’il était vierge. Vierge de notre passé. Vierge de l’art et du design et de la culture d’avant lui. Vierge pour mieux créer le présent. Bon, je ne sais pas trop comment il a fait ça, mais il créait de bien belles choses.

Mais moi, je ne le crois toujours pas. Vierge, mon œil 😉

De toute façon, pour vous et moi, je nous conseille un peu de passé. Ce temps si accessible, mais si loin de notre quotidien. Bon, je suis chanceux d’avoir connu une poignée de profs qui ont su si gentiment m’ouvrir cette magnifique fenêtre. Mais je sais bien que ce n’est pas donné à tous de faire de telles rencontres. Il faut souvent s’éduquer soi-même. Faut se faire violence. Ou se faire plaisir. C’est selon, en fait.

Parfois, souvent, je regarde par cette fenêtre. J’y vois une lumière particulière. Du Chiaroscuro, probablement, de Raphaël. Parfois, j’y trouve une composition de M. Colville. Mathématiquement si belle. Ici, c’est une leçon de comédie de M. Chaplin. Une vraie mine d’or. Je collectionne et j’amalgame mes trouvailles. Je fais miens leurs enseignements. Je regarde. J’écoute. Je synthétise. Je recompose au présent. Pour créer du nouveau. Du flambant neuf, comme on dit.

Il y a aussi des poèmes qui m’inspirent. Des livres aussi. Prenez Walden, par exemple. Vous ne pouvez vraisemblablement être le même et faire les choses comme avant après ce bouquin. Ça, c’est comme le passé qui donne une jambette à ton erre d’aller. Ça m’émeut de me casser la figure comme ça.

Le présent, c’est bien. Faut être de son temps. Créer à partir de lui, pour lui. C’est important. C’est essentiel même (nous le verrons d’ailleurs dans la deuxième fenêtre). Mais d’ignorer notre passé collectif, notre héritage, de faire fi du génie de nos pères et de nos mères, consciemment ou innocemment, c’est d’une tristesse absolue. L’embrasser ou le détester pour mieux avancer, qu’importe. L’important, c’est de s’attarder un peu devant cette belle grande fenêtre.

Comme du monde.

 

Publié le 8 septembre 2016 dans Infopresse.