La troisième fenêtre

Ce texte est le dernier d’une série de trois explorant les sources de la créativité. Celui où je regarde au travers la troisième fenêtre, celle de l’avenir (lire Les fenêtresLa première fenêtre et La deuxième fenêtre).

 

«Et les villes s’éclabousseraient de bleu»
– Jacques Brel, Extrait de La Quête/L’Homme de la Mancha. 1968.

«Moi, je dirais que je suis volontairement optimiste»
– Hubert Reeves, Extrait du prologue de La belle histoire de Claude Lelouch. 1992.

Au printemps de 1963, une rencontre remarquable a eu lieu au Château Montebello, en Outaouais. Une rencontre qui allait ouvrir toute grande une immense fenêtre sur le futur. Une fenêtre sur le futur des habitants de notre magnifique vaisseau interstellaire (en référence au Spaceship Earth, nom donné à la planète Terre par Buckminster Fuller). Mais aussi, surtout, sur notre futur. Celui de tous les Québécois et de toutes les Québécoises. Une rencontre conviviale et unique où, l’instant d’une mise en commun de quelques jours, des écrivains, recteurs, professeurs, architectes, neurologues et gestionnaires du monde des arts ont imaginé notre avenir collectif, celui de notre humanité. Une rencontre où des hommes et des femmes ont imaginé la Terre des Hommes.

Dans le dernier chapitre du recueil de textes intitulé Fragiles lumières de la Terre, Gabrielle Roy nous raconte comment ce petit groupe de penseurs ont si magnifiquement élaboré et structuré leurs idées autour de ce thème inspiré du roman de Saint-Exupéry.

La collaboration entre les peuples de la Terre, entre tous ses habitants, cette fraternité possible et extraordinaire, sera, déterminera, notre avenir commun. Notre bien-être à tous, sans exception. Le progrès grâce à la solidarité humaine sera dorénavant notre leitmotiv. Le progrès comme outil pour le mieux-être de tous les habitants de notre petite planète bleue voguant dans l’univers.

Un merveilleux projet. Beaucoup plus grand que l’événement qu’il a engendré. Une utopie peut-être, mais qui a fait des rejetons. Un projet qui fut une source d’inspiration profonde pour des générations à venir, ici chez nous et ailleurs aussi, j’en suis certain.

Une poignée de gens, le temps de quelques jours, imaginant le futur. Quoi de plus fantastique. Si je pouvais vous remercier tous aujourd’hui, vous qui étiez invité à inventer cette vie que nous vivons aujourd’hui, je le ferais avec gratitude et beaucoup de reconnaissance.

Hier, la promesse de Kennedy de marcher sur la Lune avant la fin des années 60. Hier encore, une certaine vision du progrès et d’un avenir solidaire entre les nations. Aujourd’hui, le désir d’un environnement sain pour nos enfants et leurs petits enfants. L’idée d’une économie durable et celle des énergies renouvelables. La perspective d’enrayer à jamais la pauvreté, la maladie. D’en finir pour de bon avec la guerre. Le projet de coloniser Mars.

L’invention d’un monde meilleur, d’un jour meilleur. Chaque jour, une certaine vision du futur en tant que moteur de créativité. D’invention. De réinvention. D’évolution. Demain comme un objectif qui nous fait vibrer aujourd’hui. Qui nous fait danser, marcher, courir. Qui nous entraîne à nous surpasser. À nous entraider.

Il suffit d’être volontairement optimiste, disait M. Reeves. J’ajouterai qu’il faut aussi être volontairement humaniste.

Il faut parfois larguer le passé et le présent pour mieux aller de l’avant. Délester le quotidien, les modèles en cours, en vogue. M. Buckminster Fuller a eu une très belle pensée à ce sujet: «You never change things by fighting the existing reality. To change something, build a new model that makes the existing model obsolete.» («On ne peut changer les choses en combattant la réalité existante. Pour changer quelque chose, il faut construire un nouveau modèle qui rend obsolète le modèle existant.»).

Choisir le futur, c’est y faire son nid. Sa maison. Son laboratoire. C’est une quête incessante. Difficile certes, mais combien gratifiante. Qui peut, pour le passant ou le spectateur mondain, ressembler à une fantaisie naïve. Une lubie bizarre. Un peu loufoque. Faut vraiment choisir d’être le fou sur la montagne. Le présent et son obsession maladive pour la performance immédiate n’ont cure des lendemains. Faut bien avoir les deux pieds sur Terre, n’est-ce pas?

Oui, mais. Encore faut-il que cette bonne vielle Terre nous supporte encore un peu. C’est à nous tous d’y voir. Aujourd’hui, pour demain. Chacun pour l’autre.

C’était à l’Impérial, l’une des plus belles salles de cinéma de Montréal. Malgré la distance, je me souviens nettement de mon état au moment où j’ai mis les pieds sur le trottoir de la rue Bleury quelques minutes après la fin de la représentation. J’étais abasourdi. Sonné. Je n’avais justement pas du tout les deux pieds sur Terre. J’ai maintenant la certitude que le monde qui existait avant d’entrer dans ce cinéma n’était plus celui qui était là, à ce moment, devant mes yeux, pourtant si exactement pareils, mais dès lors, si profondément différents. Pour moi, et sûrement pour d’autres aussi, une brèche s’est ouverte ce soir-là entre le présent et le futur. La perspective d’un Nouveau Monde est apparue. Un monde des possibles. Un monde où tout est possible. Et pas que dans la fiction ou la science-fiction. En percevant cette fenêtre, un adolescent du Plateau Mont-Royal fut intimement et profondément changé à jamais.

Je venais d’assister à l’une des premières représentations de Star Wars à Montréal.

Je ne pourrais mieux écrire ou mieux terminer cette série de textes sur les sources de la créativité qu’en reproduisant mes propres mots (vous savez, un fou sur la montagne peut tout faire):

Il y a enfin ma fenêtre sur le futur. Elle est composée de plein de petites lentilles, toutes un peu opaques, mais de toutes les couleurs. La lumière y passe et crée de formidables danses sur le plancher et les murs de mon atelier. Tout comme mes chats, je tente de les attraper. C’est amusant. Tout comme eux, je recommence aussitôt que la lumière frappe à la fenêtre. Sans jamais me lasser. (Extrait de Les fenêtres)

 

Publié le 6 octobre 2016 dans Infopresse.

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