C’était il y a 30 ans.
La chance a fait que j’étais juste là, dans ce coin du New Hampshire, au moment où les randonneurs qui faisaient la totale s’y trouvaient aussi. J’y ai rencontré des gens magnifiques. Une chirurgienne, un étudiant du MIT et une dame de 65 ans. Elle était seule sur la trail depuis cinq mois, loin de son Oregon natal, ridée comme un raisin sec, belle comme un cœur, avec les jambes d’une gamine. Nous avons marché ensemble pendant une journée.
Sur un sommet, nous avons dîné. Elle m’a regardé attentivement, sans mots dire, manger mes noix, mes dattes, mes figues et mes bananes séchées. Puis, elle m’a posé une question qui résonne encore à mes oreilles. Les machins que je mangeais, ils poussaient par chez nous?
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Ce fut mon premier vrai de vrai baptême écoresponsable. Manger local. Mais encore plus important, j’ai appris ce jour-là que j’avais la possibilité de faire des choix dans la vie. Des choix possibles qui pouvaient être le miroir de mes valeurs, de mes aspirations. Je constatais, d’une manière diffuse, que nous pouvions faire des choix, en tant qu’individu et en tant que citoyen, pour son bien, celui de l’environnement et celui la collectivité aussi.
Merci, merci, chère demoiselle. Vous avez changé le cours de ma vie.
C’est aussi depuis cette rencontre au sommet que je crois vraiment fucking fort que mes gestes, nos gestes et, depuis quelques années, nos posts et nos tweets vont changer le monde pour vrai. Qu’ils vont nous changer tous. Un peu beaucoup à la longue, qui sait? Petit à petit. Pourquoi pas?
Avec mes achats, nos achats, nous allons influencer big time le principe de l’offre et de la demande. Que le petit bout d’allée bio et équitable dans mon supermarché va devenir le magasin au grand complet dans le temps de le dire. Que nous aller tous ditcher l’essence et le mazout si je le fais, si tu le fais. Que vous allez tous être socialement responsables si je le suis. Que les nouvelles générations comprendront enfin, à force d’éducation, que le beau gazon vert et uniforme, ça n’existe pas.
Ben non, faut croire.
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Je suis encore aujourd’hui aussi romantique que le ti-cul de 20 ans qui flirtait les demoiselles de 65 ans sur la montagne. En fait, non, je suis devenu bête. Je me suis creusé un foutu gros sillon. Le mien. En pensant que vous étiez pour aussi creuser le vôtre. Pour y planter vos aspirations. Et que les gouvernements et que les entreprises suivraient. Pis que nous étions pour tous chanter pas trop faux.
Pas vraiment, finalement.
L’allée bio du supermarché est restée petite. Pis les gros chars reviennent à la mode quand l’essence baisse. Pis le pipeline va reprendre du gallon d’ici peu. Pis le racisme et la stupidité sont toujours aussi rampants. Misère.
Finalement, tout, mais tout peut prendre le bord, l’instant, mettons, d’un gouvernement réactionnaire.
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D’un côté, les forces en place de la vielle Amérique et de la vielle économie ont la couenne dure, le pouvoir économique, le pouvoir de la désinformation et la volonté d’une locomotive lancée à toute allure. De l’autre, un paquet de monde bien-pensant, vous et moi probablement, seul ensemble, brouillons et assurément désorganisés.
Oui, je pense qu’il faut continuer d’acheter politiquement, socialement, écologiquement, responsablement. C’est la clé pour amorcer le changement et le progrès social dans notre société capitaliste (merci Laure). Mais nous manquons sérieusement d’esprit d’équipe. Nos gestes isolés sont fantastiques, mais ils sont passifs et ils manquent de portée. Nos frustrations sur les réseaux sont éloquentes, mais elles ne servent qu’à nous rassurer. C’est notre opium.
Nos comportements sont individuellement bons, mais peu efficaces.
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Nous devons dorénavant et impérativement nous organiser. Faire porter notre voix. Amplifier la portée et le message au-delà de l’achat individuel. Bon, je n’ai pas de réponses toutes faites pour vous. Pas d’idées fast food applicables instantanément. Et je suis loin d’être un révolutionnaire patenté (même si le militantisme de mon père vient hanter ma vie adulte). Mais j’ai l’instinct que nous pouvons faire mieux.
Pour ceux qui en ont marre du statu quo ou, pire, du recul, voici quelques pistes de suggestion pour l’action figure en puissance en vous:
Gossez-vous une pancarte. Les rassemblements massifs des dernières semaines sont encourageants. Voir les gens revendiquer leurs droits les plus fondamentaux par milliers sur la place publique ne laisse personne indifférent. Les voix s’élèvent et se font entendre. Mieux, de telles actions concertées incitent certaines marques à prendre la parole, enfin. Des gens influents, des politiciens et des juristes s’en inspirent et agissent. Tous ça est loin d’être passif. De grands changements sociaux sont historiquement issus de telles prises de parole. En prime, ça fait de bien belles photos pour votre wall.
Boycottez en gang. Appelez au boycott massif des marques délinquantes socialement. Nous ne pouvons pas parler des deux côtés de la bouche. Nos actions économiques doivent impérativement suivre nos valeurs. L’achat responsable opère le changement. Le non-achat peut enrayer la plus grosse des machines. Pour nous, publicitaires, le choix se pose aussi. Ce n’est jamais payant, à long terme, de jouer à l’autruche.
Influencez vos clients, vos pairs. Encouragez vos clients à poser des gestes sociaux. Aidez-les à les concevoir et à les appliquer. C’est bon pour eux. C’est bon pour vous. C’est fantastique pour la société. Vous pouvez même les inspirer à changer leurs pratiques d’affaires. C’est très possible et toujours payant. Demandez à vos clients de cesser d’annoncer dans des médias incitant au racisme, à l’intolérance. Parlez à vos collègues. Ils ne se doutent peut-être pas du pouvoir d’influence qu’ils ont au quotidien. Il est très réel.
Faites porter votre voix, parlez, écrivez, créez. Vous avez une prédisposition à l’écriture? Vous êtes orateur hors-pair? Vous êtes artiste, illustrateur à vos heures? Vous avez des opinions et des expériences à partager? Profitez de votre talent. Évangélisez et enrôlez. Les méthodes séculaires sont, ma foi, encore très efficaces.
Militez pour une cause qui vous tient à cœur. Plusieurs organismes vont vous accueillir à bras ouverts. Dans notre société individualiste, le militant est une denrée rare. Osez. Vous donnerez un sens profond à votre vie. Ça manque par les temps qui courent. Le sens profond.
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Faire toujours mieux, dépasser le geste individuel, faire en sorte d’accélérer le changement. Donner à ce changement une impulsion si forte qu’il sera irréversible.
Ce choix existe. Il est à prendre. Par moi. Par vous.
Publié le 6 février 2017 dans Infopresse