La première fenêtre

Ce texte est le premier de trois explorant les sources de la créativité. Celui où je regarde au travers la première fenêtre, celle du passée (Lire aussi Les fenêtres).

 

J’étais en secondaire 3 à la Polyvalente Émile-Nelligan en plein cœur du quartier montréalais Saint-Louis de France (aujourd’hui le Plateau). Pour se replacer un peu, disons que c’était une école rough, très très rough, située dans un coin pauvre de Montréal vers la fin des années 70.

C’est pourtant dans un petit atelier de cet enfer (protection, agressions, vandalisme, grèves, école sous tutelle, etc., etc.), animé par un frère, probablement rescapé de la réforme scolaire de la Révolution tranquille, que quelques adolescents/adolescentes ont appris à distinguer et à reconnaître les peintres du XIXe siècle. Sa méthode était simple: il projetait au mur un tableau pendant quelques secondes. Ensuite, nous devions le décrire. Sujet, personnages, couleurs, composition, détails, ambiance, intention. Tout, quoi.

Puis, il y a eu mon prof d’histoire de l’art au Vieux, M. Planchard. Lui, c’était comme un télescope vivant vers le passé. Pas le passé de notre univers, mais celui de notre humanité. Il remplissait la salle de classe d’artefacts, sculptures, palais, cathédrales et tableaux qu’il avait lui-même photographiés. J’allais même assister à ses Conférences Du Maurier (eh oui) sur l’art à la salle Port-Royal chaque dimanche matin. Je découvrais alors notre héritage. Notre plus fabuleux trésor. Celui de l’art, de l’architecture et de la pensée.

Milieu des années 80. Concordia. Deuxième année du bac en design graphique. Deux professeurs ont eu aussi changé ma vie à jamais. Israël Charney et Angela Grauerholz. Ce qui les distinguait? Leur passion, naturellement. Tout deux travaillaient et enseignaient à la fois. Quotidiennement, du studio à l’université au studio, dans une danse folle, digne de la Loie Fuller. De cette danse, ils nous rapportaient des livres de leurs studios. Des livres et des monographies sur les artistes, les photographes et les designers graphiques modernes et contemporains. C’est à ce moment que le XXe m’a frappé. Comme une bonne claque derrière la tête qui ne se donne pas assez souvent. La claque du XXe, je veux dire.

En parlant de claque derrière la tête, j’oubliais M. Losique et son cours de cinéma français. Deux films le lundi soir pendant un an. Des Lumières à Truffaut en passant par Renoir. Fascinant. Tous ces réalisateurs, tous ces acteurs et toutes ces histoires m’habitent encore. Merci M. Losique.

J’ai toujours aimé flâner dans les librairies et les musées. Pour lire. Parfois un livre. Parfois une œuvre. C’est important, la lecture.

Un jour, il y a quelques années, j’ai rencontré un grand designer graphique montréalais. Un vraiment bon. Je vous jure. Il me disait, comme ça, candidement, qu’il était vierge. Vierge de notre passé. Vierge de l’art et du design et de la culture d’avant lui. Vierge pour mieux créer le présent. Bon, je ne sais pas trop comment il a fait ça, mais il créait de bien belles choses.

Mais moi, je ne le crois toujours pas. Vierge, mon œil 😉

De toute façon, pour vous et moi, je nous conseille un peu de passé. Ce temps si accessible, mais si loin de notre quotidien. Bon, je suis chanceux d’avoir connu une poignée de profs qui ont su si gentiment m’ouvrir cette magnifique fenêtre. Mais je sais bien que ce n’est pas donné à tous de faire de telles rencontres. Il faut souvent s’éduquer soi-même. Faut se faire violence. Ou se faire plaisir. C’est selon, en fait.

Parfois, souvent, je regarde par cette fenêtre. J’y vois une lumière particulière. Du Chiaroscuro, probablement, de Raphaël. Parfois, j’y trouve une composition de M. Colville. Mathématiquement si belle. Ici, c’est une leçon de comédie de M. Chaplin. Une vraie mine d’or. Je collectionne et j’amalgame mes trouvailles. Je fais miens leurs enseignements. Je regarde. J’écoute. Je synthétise. Je recompose au présent. Pour créer du nouveau. Du flambant neuf, comme on dit.

Il y a aussi des poèmes qui m’inspirent. Des livres aussi. Prenez Walden, par exemple. Vous ne pouvez vraisemblablement être le même et faire les choses comme avant après ce bouquin. Ça, c’est comme le passé qui donne une jambette à ton erre d’aller. Ça m’émeut de me casser la figure comme ça.

Le présent, c’est bien. Faut être de son temps. Créer à partir de lui, pour lui. C’est important. C’est essentiel même (nous le verrons d’ailleurs dans la deuxième fenêtre). Mais d’ignorer notre passé collectif, notre héritage, de faire fi du génie de nos pères et de nos mères, consciemment ou innocemment, c’est d’une tristesse absolue. L’embrasser ou le détester pour mieux avancer, qu’importe. L’important, c’est de s’attarder un peu devant cette belle grande fenêtre.

Comme du monde.

 

Publié le 8 septembre 2016 dans Infopresse.

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