La garnotte

Deux ans et demi. Deux ans et demi à faire les choses autrement. Ouf, ça fait pas mal de nouvelles expériences. Cette semaine, je me suis dit comme ça :

– Aye Trudeau, pour vrai, t’as appris quelque chose de tout ça ?

Pis là, j’ai pensé à vous. Pis après je me suis dit que ça faisait un bail que je vous avais pas entertainé. Faut dire que plusieurs d’entre vous me demandent à quand le prochain pavé ? OK OK, je pense que j’ai quelque chose à partager là là. Pas vraiment un pavé. Une garnotte, tiens.

Ça fait lever un peu moins les boucliers, ça ne vous retranche pas trop dans vos positions. Une garnotte, ça pince, ça attire l’attention. C’est ce qui compte au fond. Non ?

J’AI APPRIS QUE MA COURSE VERS LA RECONNAISSANCE À TOUT PRIX ÉTAIT VAINE. QUE GAGNER POUR GAGNER NE SERT À STRICTEMENT RIEN.

Bon, je disais faire les choses autrement. Sans trop réfléchir, je vous dirais vite fait comme ça que c’est naturellement dans la manière que j’ai fait ça. Une façon, mettons, plus agile de concevoir la prestation de service en agence. Il y a le modèle aussi, qui s’inscrit dans une certaine réalité sociale. Je m’amuse à nommer ça le modèle Robin Hood. Mais pour l’instant, le temps de peaufiner cette idée noble, parlons simplement d’un modèle collaboratif de partage. On ramasse des jobs, on s’amuse à les concevoir tous ensemble et on se partage les sous en le faisant. Pas de bois mort. Pas d’argent à des gens qui n’ont jamais touché à la job. Que des working dollars pour les clients. Pas mal quand même. En tout cas, ça fonctionne admirablement et nous avons tous beaucoup de plaisir à le faire. Et ça commence même à faire des émules !

Mais au fond, tout ça, à bien y penser, c’était déjà inscrit dans la genèse du projet de créer ces nouvelles façons de faire dans le milieu de la pub québécoise. Je me doutais bien que ça pouvait fonctionner. Non, au fond, ce que j’ai vraiment appris à mon insu, c’est que mes drivers, mes motivations si vous voulez, avaient passablement été malmenés et chamboulés au passage. Quand on se targue d’être un agent de changement depuis des lunes, il faut être prêt à devoir appliquer cette médecine à soi-même.

Je vous résume en quelques mots simples ce qui me faisait courir pendant mes deux premières « vies » :

Ma période « designer graphique » : faire de belles choses.

Ma période « publicitaire » : innover pour monter sur les planches à Cannes.

Entre les deux, il y a l’ambition d’être le meilleur. Shine or Bust comme j’écrivais il y a plusieurs années dans le magazine Strategy. C’est un driver pas mal fort. Séduisant. C’est aussi naturellement ce que l’agence me demandait. C’était ma priorité numéro un. Du matin au soir, contre vents et marées, par monts et par vaux, je devais vaincre tous les obstacles, temps, argent, contraintes technologiques, ma propre agence, son red tape, et les clients aussi pour m’assurer que la job soit impeccablement parfaite pour la période des concours. Période qui dure toute l’année en fait. Et j’aimais ça. Et j’en redemandais. Ma spécialité d’ailleurs. Je m’imaginais certains matins comme un guerrier prêt à affronter l’ennemi. Sérieux. Bon j’exagère un peu quand même. Mais à peine.

–Envoye Trudeau, déguidine, dis-nous ce que t’as appris !

OK OK, mais j’aime bien les mises en situation. Ça aide à comprendre et à mieux concevoir la suite :

J’ai appris que j’étais con comme la Lune. Que j’avais tout faux depuis un fameux bail.

J’ai appris que ma course vers la reconnaissance à tout prix était vaine. Que gagner pour gagner ne sert à strictement rien. Qu’une job qui gagne, même à Cannes, n’est pas gage de réussite pour le client. Que j’abordais mon métier du mauvais côté. Que ce qui importait avant tout, c’était que oui, faire de belles et nouvelles choses est essentiel, que ma formation en tant que designer est au cœur de ma pratique, it is bred in the bones comme on dit si bien en anglais. Une chance. Mais que c’est la fondation, non la finalité de ma pratique. Importante oui, mais c’est elle qui qui me permet de faire une autre job. Celle qui est fonctionnelle :

La job qui marche.

Surtout pas celle qui n’existe que pour shiner.

La job qui marche c’est quoi au juste ? C’est ce qui définit l’existence même de notre métier. De designer graphique, de publicitaire, de communicateur. C’est un boulot qui livre la marchandise. C’est la mise en marché pure. C’est la job qui vend la boîte de céréales, qui vend un service. C’est la job qui vous incite à donner des sous à une fondation. À lire. À changer d’habitudes. À aller à l’opéra. C’est une job intelligente, bien ficelée, stratégique. Créée en synergie avec l’air du temps et le client. Belle aussi naturellement. Kick-ass même. En harmonie avec la société pour laquelle elle est créée. Digne de gagner tous les concours. Oui oui. Pas de problème avec ça. Inquiétez-vous pas.

C’est simple et c’est tout. Faut commencer du bon bord. Ce n’est pas juste l’affaire des stratèges de penser stratégie en agence. C’est l’affaire de toute l’équipe qui est sur la job. De la conception à la production et au déploiement. C’est une responsabilité ben ben horizontale. La question est simple. On fait quoi pour réussir ? Pour réussir la vraie job ? Je vous jure, si les artisans autour sont tous vraiment bons, la job va être foutrement hot, pas gênante et concourable. La grande qualité, c’est comme respirer, elle devrait être là sans y penser.

Pour vrai, j’ai appris que ma motivation profonde de faire ce métier avait changé. Que ma nouvelle proximité avec mes clients avait permis à ma pratique de se transformer. Qu’il y a une immense satisfaction à livrer la marchandise. Une grande fierté, même. J’ai appris à être responsable. Adulte. En mots simples, ce qui me fait courir maintenant :

Faire de belles choses qui marchent.

Et tant mieux si elles gagnent après ça. Je sais bien que la motivation de gagner des concours est grande. Que la pression est énorme en agence. Que la valeur des gens y est rattachée. Que c’est votre seule monnaie d’échange. Un peu malheureusement d’ailleurs. J’aimerais seulement que pour y arriver, vous n’y pensiez plus. Que vous cessiez d’être vains. Comme j’avais tout faux, je pense que plus souvent qu’autrement, vous avez tout faux aussi. Que All that glitter vous empêche la plupart du temps de bien faire votre job. Pensez-y la prochaine fois que vous serez sur la Croisette. Je mérite vraiment ce beau petit Lion ? J’espère que oui. Mais votre réponse pincera peut-être un peu.

Comme une garnotte.

PS: Surtout, si un jour, vous vous retrouvez au Gutter Bar sur la Croisette, avec un Lion dans les mains, buvez un verre à ma santé et regardez aux alentours. Il y a tout plein de lumières qui scintillent. C’est vraiment beau. J’vous jure.

 

Publié dans Infopresse le 23 février 2016.

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