Extrait de Tu dors Nicole de Stéphane Lafleur en guise de réponse à Marie-Claude Ducas pour son papier L’intégrité en pub: en réponse à Dominique Trudeau (entre autres). Voilà, c’est fait.
Bon, les vraies affaires maintenant. Voici mon nouveau papier. Vous pouvez le décortiquer à votre guise. C’est fait pour ça. Pis aussi j’aime ben ça, au fond.
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Faut vraiment le faire.
Soit que c’est de la grande naïveté, du je-m’en-foutisme généralisé ou encore de l’opportunisme crasse. Probablement un peu des trois. Oui, c’est vrai. Aujourd’hui, je vais nous rentrer dedans collectivement. La dernière fois, c’était mon histoire. Là, c’est un peu beaucoup la vôtre aussi. Ça vous implique. Je ne peux passer sous silence certains réflexes de notre industrie qui vont à l’encontre de notre avenir et de notre propre survie. C’est plus fort que moi. Tellement fort que ce fut au coeur de la genèse ma nouvelle vie, de Couleur locale.
Je parle ici de notre propension inégalée à croire dur comme fer que les artisans et les créateurs étrangers sont ben meilleurs que les nôtres. Pas un peu, mesdames et messieurs. Way better. Tellement meilleurs que nous leur donnons nos réalisations, notre photographie, notre design, notre architecture, nos illustrations, notre musique, notre écriture aussi.
Un chausson avec ça?
Quoi? Ils sont meilleurs, c’est mieux, non? On a beaucoup plus de chance de se pavaner sur la Croisette avec des beaux gros Lions en or. Et ça fait big, ça fait joli dans les crédits. Oui, ils sont franchement meilleurs ailleurs.
Je me sacre royalement du niveau de leur talent et de vos prix si c’est à ce prix.
Et de quel prix je parle? Celui de rester petit. Le prix de ne pas engendrer de nouveaux talents, de nouveaux géants. Le prix d’être sans voix, de n’avoir aucune identité propre, aucun signe distinctif. Le prix d’être facultatif. Le prix de renier les efforts de nos prédécesseurs. Et beaucoup, le prix de fermer sa gueule quand nos gens vont travailler ailleurs en pensant qu’ailleurs, c’est bien meilleur aussi.
Oui. Le prix de rester petit. Faut croire que vous aimez ça.
Je vais vous mettre ça gros, vous allez comprendre: à chaque job que vous donnez à, disons, une Sofia Coppola (que j’adore, en passant), vous empêchez des Sofia Coppola d’émerger ici. Nada. Niet. Oubliez ça. Chaque fois qu’un photographe de New York fait la job d’un photographe d’ici, c’est la même affaire qui arrive. Chaque fois pour la musique aussi. Tiens, pour les ponts aussi.
Trudeau, t’exagères. Une job de temps en temps ne va pas empêcher des talents d’ici d’émerger.
Penses-y deux secondes, mon p’tit gars, à la longue, c’est beaucoup plus qu’un tas d’opportunités créatives que nous envoyons délibérément ailleurs, c’est une idée que nous nourrissons. C’est l’idée que ne nous sommes collectivement pas assez bon. Pas assez bon quand vient le temps des gros mandats, de la grosse business, de la grosse argent. C’est l’idée qu’on n’a pas le talent qu’il faut, ici.
Encourageant non? Après ça, tu as le goût d’émerger toi?
Je ne vais pas chercher les raisons de ce sabotage collectif quotidien. Ça, c’est pour les anthropologues et les sociologues québécois. Mais comme le dit si bien Julie, c’est pas qu’en pub que les Québécois sont petits. C’est assez généralisé merci. Née pour un petit pain, nous, on connaît ça.
Moi, je dis que c’est assez. Ça suffit. Nous sommes beaux, nous sommes fins, nous sommes bourrés de talents. Au pied carré. C’est même impressionnant quand on y pense. Allez-y voir. Nous n’avons RIEN à envier à qui que ce soit. Et nous sommes une terre de géants. Ils étaient là avant nous. Ils sont parmi nous. Et d’autres émergeront aussi. C’est peut-être vous, votre collègue, votre nièce ou votre nouveau voisin. Ils existent ou existeront grâce à nous. Par nous. Pour nous.
Nous avons le devoir et la responsabilité de voir grand. Et pas juste pour une job. Nous devons trouver notre voix, notre identité créative. Plusieurs y travaillent. En art, en danse, en théâtre. Depuis longtemps déjà. Qu’attendons-nous? Ça suffit aussi cette idée de faire comme tout le monde pour plaire aux jurys étrangers. Le design danois n’est pas issu d’une certaine idée de la mondialisation. Une chance du criss.Ils ont su se regarder le nombril assez longtemps pour engendrer un langage qui crée des œuvres intemporelles qui, aujourd’hui, traversent les frontières.
Et ce, sans s’aliéner.
Bon, assez placoté. Vous savez ce que vous avez à faire maintenant. Je n’ai pas vraiment besoin de vous le dire. Moi, en tout cas, c’est ce que je fais au quotidien. Dorénavant.
Publié dans Infopresse le 25 août 2014